Plusieurs utilisateurs de Grisbi m’ont demandé d’insérer dans le Manuel un bref rappel de la signification de ce mot, qui, à mon grand dam, est retombé en désuétude.
Mes premières (brèves) recherches ne m’ayant pas ramené de résultats valant la peine d’être publiés, j’avais laissé tomber jusqu’à ce qu’un jour je prenne le temps de passer quelques moments dans une bibliothèque bien fournie en dictionnaires de toutes sortes. Et là, la moisson fut abondante. Tellement abondante que j’ai hésité longuement pour savoir ce que j’allais garder et ce que j’allais éliminer…
Finalement j’ai décidé de tout garder, même si on passe ainsi d’un paragraphe à quatre pages. J’ai juste opéré un classement des articles les plus courts vers les plus longs.
En effet je trouve intéressant d’étudier les divergences entre les différents dictionnaires, mais plus encore de constater les ressemblances, à ce point frappantes que l’on pourrait intituler ce chapitre non Le jeu des sept erreurs mais Qui a copié qui? À vous de trouver…
Et j’ai aussi rajouté un passage sur le film puisque pour ceux qui savent encore ce que grisbi veut dire cela tient essentiellement à la renommée méritée de cette œuvre.
Voici donc quelques sources sur l’étymologie du mot grisbi :
[grizbi] n. m. Arg. Argent — De gris (monnaie grise ; cd. rouchi griset [1834], «liard »), et suff. pop. -bi ; 1895, répandu en 1953.
[grizbi] n. m. (de gris[et], pièce de six liards [1834, Esnault] — dér. de gris, à cause de la couleur [cf. aussi grisette, «monnaie » — XVIIe s. —, et monnaie blanche et grise, 1784, Esnault] — avec le suff.arg. -bi ; 1896, Delesalle).
Arg. Argent : Touchez pas au grisbi (titre d’un roman d’Albert Simonin [1953]).
n.m. apparu en 1895 (grisbis) et répandu à partir de 1953 par le roman Touchez pas au grisbi de A. Simonin, serait composé de gris «monnaie grise » (1784 : cf. le rouchi griset «pièce de six liards », 1834 ; et grisette «monnaie », v. 1634) et de l’élément bi d’origine obscure : grisbi, «argent » en argot, pourrait être un composé tautologique de gris et bis.
Origine très controversée : soit de griset, «pièce de monnaie », et d’un mystérieux suffixe -bi, ou du pain à la fois gris et bis, ou du slang anglais crispy, argent ; nous proposons d’y voir un emploi métonymique de gripis 1628 [Cheneau], grispin, grisbis 1849 [Halbert], «meunier », c’est-à-dire «celui qui a chez lui du blé » 1895 [Delsalle] mais remis en circulation par «Touchez pas au grisbi », célèbre roman de A. Simonin, paru en 1953.
VARIANTES — grijbi : 1902 [Esnault] — grèzbi : vers 1926 [id.]
DÉRIVÉS — grisbinette n.f. Pièce de cent anciens francs : 1957 [Sandry-Carrère].
Arg. Argent. Synon. pop. fric, galette, pèze, pognon. Le grisbi je suis assez grand pour aller le chercher moi-même ! (…) Riton qu’avait même pas su se tenir en homme (…) dès qu’il s’était senti assez de grisbi (Simonin, Touchez pas au grisbi, 1953, p. 231).
Prononc. : [grizbi]. Étymol. et Hist. 1896 grisbis arg. «argent » (Delesalle, Dict. arg.-fr. et fr.-arg.). Mot composé du rad. de griset, au sens de «pièce de six liards » (1834 ds Esn.), dér. de gris, à cause de la couleur (cf. aussi ca 1634 grisette «monnaie », La Muse Normande de D. Ferrand, éd. A. Héron, II, 91 ; 1784, Brest, monnaie blanche et grise ds Esn.), et d’une seconde partie d’orig. obsc. qui représente peut-être le suff. pop. -bi, à rapprocher de nerbi «très noir » (d’apr. Esn.). Il n’est pas impossible que grisbi (anciennement grisbis) soit un composé tautologique de gris et de bis. Bbg. Rigaud (A.). L’arg. litt. Vie lang. 1972, pp. 114-117.
[grizbi] n. m. — 1895 : répandu 1953 par le roman de Simonin Touchez pas au grisbi ; le mot était rare ou archaïque v. 1950 : de gris «monnaie grise » (cf. rouchi griset «liard », 1834), et suff. pop.
Argot. Argent. T’as du grisbi ?
1 — Cette expression : «Ne touchez pas au grisbi » devient une variante de «Ne chahutez pas avec les nippes ». C’est le maître mot qui dirige la chronique de ces chevaliers de fortune mal acquise qui donnèrent de la mobilité aux romans de cape et de mitraillette de Peter Cheyney.
P. Mac Orlan, in Albert Simonin, Touchez pas au grisbi, Préface, p. 6.
2 — «Te casse pas la tête pour les politesses… D’abord on a pas le temps si tu veux que je te trouve Ali. Tout dépend de ce qu’il a de grisbi en fouille ; s’il est armé, on a une chance de le trouver au flambe, à la partie du Carillon.»
Albert Simonin, Touchez pas au grisbi, p. 147.
n.m. (grisby)
Argent (intrinsèquement).
Au petit caïd de l’équipe, un mouflet à casquette torpédo, bleu de chauffe et pompes vernies, la môme venait d’affirmer qu’elle me frimait seulement pour le bon motif, pour me soulager de mes cent sacs. Il avait répliqué, le vilain jalmince : — Le grisbi, je suis assez grand pour aller le chercher moi-même ! Ils disaient vrai tous les deux, l’un et l’autre également prêts à tout pour le grisbi. Eux et leurs petits potes. Pareil Angelo-la-Tante et Josy-la-Peau-de-Vache ; pareil Ali-le-Fumier et ses ordures d’espingos ; pareil Riton qu’avait même pas su se tenir en homme avec sa môme, dès qu’il s’était senti assez de grisbi ; pareil Marco et sa petite Wanda, si honnête, mais qu’hésitait pas à se faire enjamber par le bonhomme grisbi ! pareil aussi la môme Lulu sans doute, qu’attendait patiemment chez moi que je rabatte, avec mon grisbi !
A. Simonin, Touchez pas au grisbi, p. 233
HIST. —1895, mais sans doute peu usité : A. Bruant et L. Blédort, qui accumulent à l’occasion les synonymes (pèse, os, etc.), n’emploient pas grisbi, bien que Bruant l’enregistre en 1901 (grisbis). Le succès mérité du roman d’A. Simonin en 1953 a rendu une jeunesse au mot, qui ne paraît pas pour autant véritablement intégré à la série des désignants de l’argent, comme blé, oseille, flouze ou fric.
Du rouchi griset, «pièce de six liards » (1834), ainsi dénommée à cause de sa couleur. Mais l’explication donnée par Esnault, actuellement seule disponible, n’est pas satisfaisante ; d’une part, l’élément bi reste inexpliqué, sinon par un «suffixe » inconnu ; d’autre part, Bruant écrit grisbis, et il est possible (sinon probable) que le s central ne soit prononcé que depuis 1953 ; ce qui amènerait à une explication : gris-bis, dans la série des désignants issus d’un nom du pain, blé, carme, biscuit, galette, etc.
Enfin, si la métonymie de la couleur est effectivement utilisée pour dénommer l’argent, il s’agit toujours d’une catégorie d’argent précise : des «espèces ». Ainsi jaunet, blanc, blanche, cuivre, ne sont pas interchangeables, ni utilisables pour «de l’argent » abstrait.
On rappellera par ailleurs le sens de gris : «cher » (V. grisol) et la possibilité du pseudo-suffixe augmentatif bi, «très », même rare. On aurait alors : gris-bi, «très cher » ? Mais l’hypothèse est aventurée.
Touchez pas au Grisbi ! par Albert Simonin
Touchez pas au grisbi !
Film italien, français (1953). Policier. Durée : 1h 34 min
Titre Original : Grisbi
Distribution :
Réalisateur : Jacques Becker
Max-le-menteur et Riton viennent de réussir le coup de leur vie : voler 50 millions de francs en lingots d’or à Orly. Avec ce «grisbi », les deux gangsters comptent bien profiter d’une retraite paisible. Mais Riton ne peut s’empêcher de parler du magot à sa maîtresse Josy. L’entraîneuse transmet la précieuse information à Angelo, un trafiquant de drogue avec lequel elle trompe Riton. Angelo kidnappe le vieux truand et demande le «grisbi » à Max comme rançon…
Jean Gabin et René Dary sont considérés comme deux monstres sacrés du cinéma de l’avant-guerre.
Le fils de Jacques Becker, Jean, fait ici ses débuts au cinéma en tant qu’assistant réalisateur. Il n’a pourtant que quinze ans !
L’écrivain et scénariste Albert Simonin, qui adapte ici son propre roman, fera quatre autres films avec Gabin, tous dialogués par Audiard : Le cave se rebiffe (1961) et Le gentleman d’Epsom (1962) de Gilles Grangier, Mélodie en sous-sol (1963) d’Henri Verneuil et Le pacha (1967) de Georges Lautner. Après avoir adapté son œuvre Les Tontons flingueurs pour Georges Lautner (1963), il devient son scénariste pour Les Barbouzes (1964).